LA MISERICORDE QUI ECHAPPA A LEURS YEUX
(Il dit : « ô mon peuple ! Que vous en semble ? Si je me conforme à une preuve de mon Seigneur, si une Miséricorde, (prophétie) échappant à vos yeux, est venue à moi de Sa part, devrons-nous l’imposer alors que vous la répugnez) Sourate Hud, verset 28. Ils1 entendirent sa voix au milieu du brouhaha et celle-ci les terrassa. Cette matinée du début de mois de chaabane, le village se réveilla en retrouvant le calme, après avoir ressenti la douleur et subi le choc de la disparition de la sainte dame ; celle qui nourrissait les affamés, aidait les démunis et accueillait avec générosité les étrangers. Le moment conférait un seul sujet de discussions, tout le monde se mettait à évoquer le cas de Limamou qui refusait de manger et de parler pendant trois jours, après la disparition de sa sainte mère, les hommes se laissaient entrainer par les commentaires passionnés au sein des « Penthie » (places publiques) et les femmes, dans leurs cuisines, n’étaient pas en reste. La voix du Saint maitre les surprit par l’évocation des mots empreints de vérités particulières dépassant leur entendement familier : Adjibo Da iya lah…Répondez à l’appel de Dieu. Humains et Djinns, je suis le messager de Dieu ! Aussitôt, les gens épris de curiosité se demandaient d’où venaient cette voix et ce qu’elle disait ? Et la conversation alla dans ce sens: - Paraît-il que c’est Limamou Thiaw. - Limamou ? - Oui, vêtu de tout blanc et sur la dune, criant de sa plus haute voix. - Enfin, a-t-il fini d’accepter de parler après ces trois jours d’abstinence. 1 Ce récit relate la vie de Seydina Limamou avec ses voisons et habitants de Yoff relatée par Cheikh Matar Lo dans Boushral Mouhibine de Seydina Limamou, au moment de son appel. - Oui, mais il dit des choses étranges. - Limamou ? qui est le plus conscient, le plus intelligent et le plus droit parmi nos jeunes ? - Exactement ! mais il prétend être l’envoyé de Dieu auprès des humains et des djinns. - Quoi, Limamou? D’où tire- t-il cette histoire? Que lui arrive-t-il à nouveau. Ce jeune illettré qui n’a jamais fréquenté les écoles et n’a pratiqué que la pêche, l’agriculture et le commerce. Peut-t-il être sérieux en prétendant être un messager de Dieu? - Il a, peut-être, perdu la tête sous l’emprise de la détresse. Le Saint Maitre continua son discours et les terrassa une nouvelle fois par ces mots qui suscita leur colère : « Dieu, par sa volonté, m’a élevé au-dessus de toute la créature. Et a fait de moi un messager. Je suis le Mahdi tant attendu ». Ils se divisèrent et se dispersèrent en trois groupes. Certains parmi eux disaient que Limamou était devenu fou et il revenait à ces parents et à ses amis de le raisonner et de le consoler. Pour d’autres, il a subi la colère d’un esprit malsain lors de l’une de ses prières en solitude (khalwa) et son cas nécessitait de faire appel à un guérisseur ou le laver dans les « Khambs » 2 de sa 2 « Les Khambs » : autel consacré au génie protecteur de la famille pour attirer le bien, prévenir le mal et prédire le futur contre des offrandes périodiques. La miséricorde qui échappa à leurs yeux 25 famille. Et les plus conscients d’entre eux se disaient : « Limamou, le plus gentil, le plus véridique, le sociable, le plus courageux, le plus pratiquant de nous tous ne peut pas être atteint de folie, et ne peut dire que la pure vérité ». Ils se disputèrent avec son oncle et lui dirent : « nous t’avions pourtant prévenu et t’avions demandé de soigner ton neveu avant que la situation ne se dégénère. Voici aujourd’hui le résultat ». Ils oublièrent le jour où le marabout d’Ourou Madi les avait retournés en prédisant que le Grand Imam naitra parmi eux3 . A son retour à la maison, le Saint Maitre interpella son oncle et lui raconta tout ce qui s’est passé au « penthie » et la dispute entre lui et ses pairs et termina son discours avec cette phrase : « Seul Dieu sait ce qui m’est arrivé ». La vie du Saint Maitre se résuma à la glorification du Créateur, à l’appel de son peuple à adorer Dieu en exclusivité, au bannissement des « Khamb » ainsi que des héritages païens. La sympathie qu’ils vouaient au Saint Maitre se transforma en une haine venimeuse le moment où il toucha et critiqua le plus cher de leur héritage. Les meilleurs parmi eux répondirent à son appel et il leur ordonna de se dévouer exclusivement à Dieu, d’accomplir la Salat, d’acquitter la Zakat et de jeuner le moment venu. Mais, hélas, les autres, majoritaires, rejetèrent son appel, empêchèrent leurs subordonnés de le rejoindre et firent de lui un ennemi. Dans leurs palabres et différents voyages, ils parlèrent de Limamou Thiaw, ce jeune pêcheur prétendant être le messager d’Allah et de sa nouvelle communauté 3 Selon LES PROPHETES de Assane Sylle : Le Marabout de Ourou-Madi (Mouhmadou Ba) avait dit à la délégation Lébou le rendant visite : "le Mahdi attendu descendra parmi vous son nom est Limamou, donnez ce nom aux garçons qui naîtront dans vos foyers." « blanche » qui chantait l’unicité de Dieu. Son nom atteignit les villages de Oualo, de Kadior, de Jiwalo, etc. Cela réveilla la curiosité des uns et des autres et les incita à venir le visiter. Et, seuls les élus le rejoignirent, entre des Oulémas qui ont abandonné leurs écoles, des Cheikhs qui ont laissé leurs disciples, et des illuminés qui ont reçu son appel et se sont assurés de sa véracité. Ensemble, ils formèrent la communauté « Ahlou Lahi » et se remarquèrent par leurs tenues blanches, leurs séances de « Zikr » (glorification de Dieu), leur affiliation à Allah4 et leur foi inébranlable vouée au Saint Maitre. Le nombre de disciples augmenta davantage autour du Saint Maitre. Et leurs glorifications de Dieu, à l’entame de leurs prières et pendant leurs séances de « zikr », dérangèrent le calme des mécréants et des propriétaires de « khambs ». Ils discutèrent alors de l’affaire de Limamou et de sa nouvelle communauté grandissante qui dérangeaient, par leurs « zikrs » tout le village. Ils essayèrent de dissuader à nouveau certains oulémas et cheikhs parmi ces disciples : « Vous abandonnez vos pays, gloires et disciples pour suivre un égaré et illettré qui ne sait ni lire ou écrire » leur dirent-ils. Et ils répondirent : « il est notre maitre, notre guide et notre amour, nous le protégerons par nos âmes et par toutes nos propriétés ». Ils devinrent les cibles de tout le village. Ils les insultèrent, battirent les plus faibles et les jetèrent des pierres. Ils partagèrent leur souffrance avec le Saint Maitre. Ce dernier les consola en leur disant : « Patience, le secours d’Allah et la victoire sont imminents ». Leurs persécutions ne faisant 4 Le Saint Maitre, Seydina Limamou Lahi, ordonna à ses adeptes de remplacer leurs noms de famille par « lahi », dérivé de Allah, pour faire face au cloisonnement basé sur des considérations socioculturelles. La miséricorde qui échappa à leurs yeux 26 qu’augmenter la ferveur des disciples du Saint Maitre, ils tentèrent de le mettre en mal avec les autorités coloniales. « C’est lui le Mahdi tant attendu qui mettra fin à votre conquête par les armes qu’il cache dans sa maison et par la foi et la ferveur de ses disciples » leur dirent-ils. Allah l’informa de l’éventuelle attaque des colons qui se déchaînèrent contre lui en dépit du rapport positif des deux espions envoyés chez lui pour investiguer. Le Saint Maitre parla avec ses disciples et les ordonna de ne pas réagir et de se consacrer au « zikr » quand l’ennemi sera venu. Massamba Koki5 dirigea la troupe coloniale chez le Saint Maitre et tout le village attendit sa fin ultime. Le cri poussé par le chef de troupe que le Saint Maitre souleva pour le mettre à terre, les surprît. Et leur rêve de voir la fin de Limamou se dissipa quand ils virent les quarante cavaliers fuir en quittant le village. Cette défaite suscita la colère des colons et blessa leur orgueil. Ils jurent de tuer le Saint Maitre et de bruler sa maison prochaine. Les habitants du village redoutèrent le pire si leur terre devient le théâtre d’hostilité et de combat. Ils tentèrent, alors, de convaincre le Saint Maitre pour qu’il abandonne ces disciples et n’expose pas leur village au danger. Ils suscitèrent, avec cette demande, sa colère : « Vous voulez que j’ordonne de s’en aller ces éperviers de Dieu, qui espèrent profiter de la grâce de Dieu répandue ici, et qui ont répondu à son appel ? Vous voulez que je renvoie d’ici mes disciples pour rester seul et recommencer avec nos anciennes activités de pêcheurs de poissons ? Non, cela ne se fera plus jamais. Dieu m’a placé au-dessus de vous et au-dessus de toutes les créatures. Par ma taille, je vous dépasse en hauteur et aussi en 5 Il fut, selon Cheikh Matar Lo, l’un des pires ennemis du Saint Maitre, Boushral Mouhibin, P.27. profondeur vers le bas. Limamou est Limamou de Yoff. Je ne bouge pas d’ici et personne ne peut rien contre moi. C’est Dieu qui m’a implanté ici afin que je lance un appel parmi les hommes et les djinns, et aucune créature ne peut empêcher cela. » Répondit-il, et les défia par la continuité de son appel et il saisit par la main son fils, de dix ans, Seydina Issapour leur dire: « Je sais que je mourrai quand le terme en sera venu, mais si je meurs avant d’avoir accompli ce que Dieu m’avait ordonné, ce garçon achèvera mon œuvre. » Il les secoua par ces mots et quitta, par pitié, leur village avec quatre de ses fidèles au milieu de la nuit. Il s’exila après avoir effectué un prêche mémorable auprès de ses adeptes en leur demandant d’aller séjourner ailleurs et leur promit la récompense de Dieu aux exilés. Les colons ordonnèrent les villageois de trouver le Saint Maitre et les menaça. Et ils se déchainèrent à ses trousses avec leurs tam-tams et tambours. Ils le cherchèrent, en vain, dans tous les villages environnants. Arrivé à son lieu d’exil, Dieu les empêcha de l’apercevoir. Ainsi, il envoya vers eux l’un de ses compagnons : «Va leur dire que je suis ici » Après leur prière qu’il dirigea, ils se rendirent avec lui aux colons. Ils souhaitèrent que cette fois, exilé à des pays lointains, sa trace et son œuvre soient finalement effacées. Un moment très sensible entre les larmes de ses adeptes et les sourires de ses ennemis, il les défia que le bateau le transportant ne dépassera pas l’Ile de Gorée. Quand celui-ci se bloqua à Gorée, ses adeptes sautèrent de joie et ses ennemis se crispèrent par tristesse. Après ces trois mois de détention à Gorée, les colons prononcèrent un non-lieu à sa faveur et lui garantirent de réparer ce qu’ils ont gâché et de poursuivre ceux qui l’ont calomnié auprès d’eux. Il répondit à La miséricorde qui échappa à leurs yeux 27 cette offre : « laissez-les, je leur ai pardonné par la grâce de Dieu. » Le Saint Maitre les excusa, et ils allaient mourir de honte par la gentillesse de cet homme qui a quitté leur village pour ne pas les exposer et s’était manifesté quand ils le cherchèrent, en vain, pour ne pas leur porter préjudice. Il exécuta leur souhait de quitter leur village. Et voulant protéger sa communauté grandissante, il érigea le village des exilés qu’il nomma Kem Medina (le deuxième Médine). Il s’y séjourna avec ses compagnons et fondèrent ensemble un village saint basé sur la propreté, la sainteté, l’adoration exclusive de Dieu, la prière, le jeun, la zakat et les séances de glorification d’Allah. Il se promena entre son village natal et son village d’exil. Il distribua à ses concitoyens toutes sortes de biens : bœufs, chèvres, ânes, pirogues, etc. Il les aida dans leurs travaux, ordonna ses disciples de labourer leurs champs et leur offrit, en cas de besoin, les cases de ses conjointes et leurs lits. Ils s’entêtèrent à rejeter son appel mais le consultèrent dans leurs soucis et leurs problèmes. Vingt années passèrent et le Saint Maitre ne se soucia de rien, sinon chanter les louanges de Allah, prier, donner de l’aumône et aider les pauvres et nécessiteux. Il n’eut jamais demandé qu’on lui laboure son champ. Et se désintéressa des richesses d’ici-bas. Il taquinait ses ennemis et ses détracteurs, ignorait leurs insultes ainsi que leurs calomnies et nourrissait le seul espoir de sauver tout le monde par ses enseignements. N’est-il pas le Maitre de la fin des temps qui sauvera l’humanité ? Son heure de départ à l’au-delà s’approcha. Il subit des épreuves ainsi que des malheurs douloureux et perdit la vue. Les calomnies recommencèrent : « Limamou, ce soi-disant prophète, a perdu la vue. Et comment un prophète peut devenir aveugle ?». Il les rappela l’histoire des prophètes Yankhouba et Chuaïb de même que les épreuves subies par ses frères et Envoyés de Dieu et les étonna par la vue de son cœur en annonçant l’arrivée de tout visiteur qui se dirigeait vers sa maison avant même qu’on l’aperçoive. Le combat continua entre le Saint Maitre et ses voisins pendant vingt- six ans. Son âme retourna à l’au-delà. A l’annonce de la nouvelle, ils se précipitèrent et voulurent l’enterrer pour s’assurer de sa mort et ensevelir cette miséricorde qui échappa à leurs yeux et leurs cœurs. Son fils Madione leur en empêcha : « Quiconque veut enterrer quelqu’un n’aura qu’à attendre la mort de son père. Personne n’enterrera mon père avant la venue de son lieutenant et mon frère Seydina Issa Rohou Lahi » déclara-t-il. Trois jours après, Seydina Issa vint et dirigea la prière mortuaire de son père et la prophétie de ce dernier se réalisa : « si je meurs avant d’avoir accompli ce que Dieu m’avait ordonné, ce garçon achèvera mon œuvre». Seydina Issa remplaça son père. Les adeptes le chérirent, les ennemis le redoutèrent et les autorités le respectèrent. Le nom de Dieu fut chantonné dans tous les coins du village. La vérité l’emporta sur le mensonge, l’amour sur la haine et la paix sur la guerre. Les détracteurs qui calomniaient et insultaient le Saint maître laissèrent une descendance qui chantent ses louanges et glorifient le Tout Puissant. Leur village s’associa à son nom et la miséricorde qui échappa aux yeux de leurs ancêtres finit par les couvrir. Et le message à leurs semblants fut : « devrons-nous vous l’imposer alors que vous la répugnez » hud-Verset 28.
Mamadou Bara Samb
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